20 novembre 2011

Le Piano des princes Darnakine - Mik Fondal

Il est heureux que les éditions de la Licorne, après de nouveaux auteurs (Le Royaume et la Gloire et L'Enigme des cabanes) décident de rééditer la plus réussie des Enquêtes du Chat-Tigre. S’agit-il d’une réédition pure ou d’une réécriture ? Ni tout à fait l’une ni tout à fait l’autre.

Disons que, ça et là, les anciens lecteurs pourront s’amuser au jeu, non des 7 erreurs, mais des 77 différences. Certains changements sont des adaptations propres à ne pas faire passer Mik pour un Hibernatus tout droit sorti des années 60 aux yeux des plus jeunes : les jeudi de congé du Chat-Tigre ont logiquement été transformés en mercredi (sauf une fois où Mik a l’air de faire l’école buissonnière un jeudi, alors qu’il en est étourdiment resté à son jour de repos vintage). Les véhicules ont été aussi quelque peu rafraîchis ou permutés, l’Ami 6 devient une Renault 19, une Renault toute bête se change en Laguna et une Simca en Xsara ; quant à la géopolitique, pourtant très présente dans l’intrigue, elle n’a pas trop été bousculée, hormis le fait que le père de Mik, toujours défunt officier, n’est plus tombé en Indochine et que l’Ambassade de l’Union des Républiques socialistes soviétique est redevenue l’ambassade de Russie. Par contre, pourquoi avoir transformé le département des Yvelines, toujours d’actualité en Seine-et-Oise (un peu moins contemporain) ? Mystère…

Hormis ces quelques retouches et raccords de style (n’espérez pas d’un auteur qu’il relise un de ses textes pour republication sans avoir à lui retenir la plume pour l’empêcher de tout réécrire, corriger virgule, adjectifs déséquilibrés, verbes raccourcis, etc., mais Bruno Saint-Hill fut ou s’est sagement retenu), les coups de plume-coup de patte narquois de l’auteur n’ont pas été émoussés et les conserves du Sieur Sautepoule n’en sont pas sorties plus fraîches. Quant au lévrier du Barine Alexandre, il est toujours kurde et non russe, Dieu merci (sinon il aurait fallu porter l’affaire devant l’ONU). Les adorables cockers, eux, sont toujours cockers et toujours Nic et Nac.

Maintenant, qu’en est-il des illustrations de Bernard Dufossé venant remplacer celles de Pierre Joubert ? À la fois évocatrices et différentes des Joubert, certaines redessinent les mêmes scènes, d’autres viennent s’y ajouter, en plus de nombreuses vignettes, dans un coup de crayon plus brut mais plus vif aussi, avec des scènes d’actions plus rapides que les tableaux joubertiens (coups de feu, coups de poing, nez écrasé en gros plan, on cherche instinctivement les bang ! et les chpoong ! qui font le bruitage des BD).

Les lecteurs vétérans s’amuseront à lire ce Piano reloaded. Les lecteurs tout neuf pourront, eux, avec l’insouciance et la passion d’une première lecture, suivre Mik, Boris et Claude sur la piste des hiboux terreurs des précepteurs, des pianos ensorcelés et des passages secrets, en prenant garde toutefois aux marches des souterrains : elles sont glissantes, on vous aura prévenu…

Redécouvrons l'intrigue par le texte qui suit, déjà paru en 2008 sur notre ancien site.
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Cinquième volet des Enquêtes du Chat-Tigre, que nous devons à la plume alerte et malicieuse de Bruno Saint-Hill, Le Piano des princes Darnakine est l’un des meilleurs romans de la série. Imaginez un piano russe au destin de prestige et de malheur qui, après avoir connu la gloire du salon des princes Darnakine à Saint-Pétersbourg et l'exquise caresse des doigts de la Grande Duchesse, se retrouve en exil dans une maison versaillaise, certes de bonne réputation mais tout de même fort dépourvue de sang bleu. Le voilà houspillé et martelé par des mains tout aussi féminines, mais beaucoup moins habiles que celles d'Olga Petrovna...

Ce piano pourtant romantique, habillé de palissandre et incrusté d'argent, « paré de mille rinceaux feuillus, chaudement emmitouflé de loupe d'amboine », fait bien des ravages, et pas seulement auprès du beau sexe. Serait-il maudit ? Comptons un peu les victimes. D'abord Tonton Léon, qui frôle la méningite et l'apoplexie, sous les assauts sonores et assidus dudit piano, un peu aidé, il faut le dire, par une Carabine ensorcelée par le charme slave… Puis c'est toute une institution de jeunes filles déshéritées qui manque y passer : une nuit sous le même toit que le maléfique piano suffit à transformer la vénérable école des Zélatrices de Sainte Zoé en un hôpital de campagne au temps de la grippe espagnole. Vient ensuite l'accordeur qui, après s'être penché un peu trop longuement sur les touches d'ivoires du coupable, trépasse dans la nuit. Expédié à l'autre bout de la région parisienne, le terrible Russe ne perd rien de ses pouvoirs et amène ses convoyeurs à l’hôpital... Il se retrouve enfin relégué dans un château uniquement visité par les touristes, qui n'ont le droit de le toucher que des yeux. La malédiction des princes Darnakine est-elle enfin arrivée à son terme?

Quand on croit être enfin débarrassé de l’instrument, son Altesse Alexandre Darnakine, majestueux, moustachu et couvert de fourrures, débarque chez le juge Mercadier en réclamant « son piano ». Car la lignée des « abominables princes Darnakine » était loin d’être éteinte et vivait aux Etats-Unis. Alexandre Darnakine, magnat de l'automobile à Chicago, revient donc en France avec son neveu, Boris Michel Andréiévitch Darnakine, 13 ans, cow-boy au Texas et bad boy dans un gang de teen-agers en ville, qui ne parle que le russe et l'anglais, bafouille un français épouvantable, déteste prendre des bains, et envoie promener son précepteur français, M. Barbet, dès qu'il le peut. Ah, il y a aussi Boyard, un lévrier non pas russe, comme son nom pourrait le faire croire, mais kurde, il fallait le trouver: « sournois, cruel, féroce » et pour couronner le tout « bête à hurler ». Décoratif, malgré tout, et surtout, lui aussi, à la fois instrument du destin et arme du crime.

Recevant le prince en l'absence de Tonton Léon et le rassurant sur le devenir du piano, notre Chat-Tigre est remarqué par le prince qui, justement, cherche un compagnon de jeu pour distraire et remettre dans le droit chemin son turbulent neveu. Un mercredi, Mik se rend donc au château de Fontvive pour rencontrer Boris Andreïevitch. Celui-ci, la mort dans l'âme, se prépare à accueillir ce « garçon modèle » dont son oncle lui a dit tant de bien et dont il attend naturellement le pire.

Et c'est alors que survient le premier assassinat : Boyard, le lévrier pleutre, sournois, et méchant comme une teigne, meurt empoisonné. Averti, le prince Alexandre, en pleine partie de chasse avec un châtelain voisin, accourt en voiture... et n'arrive jamais à Fontvive. Un arbre en travers de sa route, qui n'est pas venu là par hasard, manque de mettre fin à ses jours. Qui a voulu tuer le prince Darnakine? Le KGB? L'Amicale des Cow-boys du Texas? La mafia de Chicago? Bien sûr, en plus de Tonton Léon, du Chinois (plus jaune que jamais) et des policiers dépêchés sur place pour assurer à la fois l'enquête et la sécurité de Boris Michel, Mik se charge de déchiffrer le mystère, entre souterrains, bibliothèque hantée, oiseau de malheur, crise de folie subite et vieilles histoires de guerre.

Passés les chapitres où les protagonistes se rencontrent et sympathisent, toute l'intrigue se déroule à Fontvive: les meurtres ou tentatives de meurtre, le débrouillage de l'énigme, les courses-poursuites et même l'ultime méfait du piano. Tout cela a lieu entre quelques endroits stratégiques qui donnent au roman des allures de Cluedo. Côté jardin, le parc, les terrasses et Polyphème, la grotte, la fontaine et le jeune Panthacrène qui n'en finit pas d'être enlevé, plus des oubliettes bien oubliées... Côté cour, le cagibi du chien, la chambre aux poignards, les deux tours et la bibliothèque, dont les rayons qui offrent ostensiblement aux visiteurs tout Gogol, Tourgueniev, Tolstoï et Gorokhnov savent dissimuler certain cahier relié, gris de poussière mais fort utile pour s'aventurer dans les souterrains...

Et puis il y a les deux châteaux voisins dont celui du baron des Roches, frêle vieillard perpétuellement enrhumé mais fin tireur, qui perd un peu trop facilement ses bottes de caoutchouc dans les souterrains de Fontvive. Il y a aussi son neveu Claude, aussi insolent et crasseux que Boris Michel mais qui, en plus, se paie le luxe d'être un autre «garçon bien», ce qui achèvera d'amender le jeune Russe. Autre château: Le Chesnay, dont les communications téléphoniques incessantes avec Les Roches ne laissent pas d'intéresser le Chinois. Le Chesnay est tenu par un certain Sautepoule, producteur de conserves douteuses dont la fortune, récente et subite, ne semble guère plus fiable que la date de péremption de ses pâtés et rillettes...

Entre les trois demeures, dans un triangle de la mort plus redoutable que la jungle birmane, le Chat-Tigre, aidé de Boris et de Nic et Nac, un couple d'adorables cockers venus remplacer avantageusement Boyard, va démêler un écheveau compliqué, en laissant de côté la piste des gangs new-yorkais, celle du KGB ou des Hongrois, pour se concentrer sur certains poignards allemands laissés en souvenir par la Wehrmacht... Le dénouement de l’histoire aura lieu au terme d'une course poursuite dans les passages secrets, entre le cagibi et le bassin du jeune Panthacrène, qui assista ainsi à la plus belle glissade que fit jamais prince russe au château, suivi d'un impeccable plongeon de groupe dans les eaux glacées de Fontvive.

Et le piano dans tout cela? Eh bien, plus précieux que les saintes icônes de Valikii Oustioug et de la Vierge de Krapivna réunis, instrument enchanteur sous les doigts d'une créature de rêve au cœur de loup sibérien, il n'était finalement coupable que d'avoir transpercé à jamais le cœur du prince Alexandre, qui ne garde pourtant pas rancune à ce « très cher, ce merveilleux piano ! »

Le Piano des princes Darnakine
Auteur : Mik Fondal 
Illustrateur : Bernard Dufossé 
Collection Licorne, n°5 
236 pages 
Parution : Septembre 2011

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